mardi 7 février 2012

« Rimbaud en très belle jeune fille »

ON ne possède qu'une seule photographie de Vitalie Rimbaud, la sœur cadette d'Arthur. Âgée d'une quinzaine d'années, deux ans avant sa mort, elle pose dans le studio du photographe Vassogne, à Charleville.
A ce portrait faut-il superposer celui qu'en fit Ernest Delahaye, camarade de classe d'Arthur ? La sage jeune fille avait, écrit-il, « la fraîche carnation, la chevelure châtain foncé, les yeux bleus » de son illustre frère. Et d'affirmer qu'elle était « Rimbaud en très belle jeune fille » !
De son papa, le capitaine Frédéric Rimbaud, Vitalie ne gardera aucun souvenir. Née le 15 juin 1858 à Charleville, elle a deux ans quand il claque pour toujours la porte du domicile conjugal carolopolitain, laissant son épouse seule avec quatre enfants. Frédéric a sept ans, Arthur six et Isabelle, huit mois.
Vitalie grandit sous l'autorité tyrannique d'une mère dévote. A ses deux filles, elle inculque les vertus bourgeoises qui feront d'elles de parfaites et pieuses épouses de maris aisés et bien-pensants, des mères exemplaires qui, cela va sans dire, n'auront pas à exercer un métier.
Le fondement de cette éducation c'est la morale chrétienne, le don de soi au Tout-Puissant. Pensionnaire chez les religieuses du couvent carolopolitain des Sépulcrines, situé place du Sépulcre (actuelle place Jacques-Félix), Vitalie Rimbaud, « Enfant de Marie », est hantée par le péché. L'on devine l'émoi qu'ont dû provoquer en son âme pure les écarts de langage et de conduite de ses deux frères, notamment ceux d'Arthur, le bouffeur de curés !
Au même titre que les travaux d'aiguilles, l'apprentissage des bonnes manières ou les leçons d'hygiène, la tenue d'un journal intime fait partie de l'éducation d'une jeune fille du beau monde. Vitalie tient le sien assidûment.
Sur le vif de l'évènement, elle prend des notes. Seulement après, elle rédige posément ses souvenirs avant de les soumettre à la lecture de sa mère et des Sépulcrines. Publié par le « Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud », le Journal de Vitalie peut être consulté et mieux encore acheté à la médiathèque Voyelles de Charleville-Mézières. Son intérêt majeur est de nous éclairer sur l'environnement familial pour ne pas dire « tribal » du poète.
Vitalie a quinze ans quand elle connaît la première grande aventure de sa vie. « Le 5 avril 1873, écrit-elle, nous partions de Charleville, maman, mon frère Frédéric et ma sœur Isabelle. Première fois que je voyageais en chemin de fer ». Quel événement !
Prendre le train de Paris jusqu'à Amagne, puis un autre, plus petit jusqu'à la gare d'Attigny d'où après avoir parcouru en voiture hippomobile « 4 kilomètres 1 hectomètre », elle découvre pour la première fois l'univers de sa maman, le hameau de Roche, la ferme familiale, la plus grosse du pays, celle des Cuif dont Mme Rimbaud-Cuif a hérité et dont les revenus des fermages font vivre sa famille.
Six mois Vitalie va y demeurer, le temps pour sa mère d'aménager la partie de la ferme qui n'a pas été restaurée depuis l'incendie qui dix ans auparavant l'a ravagée. « Roches (sic), note-t-elle, a treize maisons, environ cent dix habitants. Il n'y a pas d'église ni d'école communale. »
L'émerveillent « le frêle et limpide ruisseau qui va se perdre doucement dans le canal au bas du village de Voncq », la vue « au loin des moulins de Vaux-Champagne », les pommiers en fleurs « chargés d'une neige odoriférante ». Elle témoigne d'une miraculeuse apparition le Vendredi saint. « Un coup discret retentit à la porte. J'allai ouvrir et… jugez de ma surprise, je me trouvai face à face avec Arthur. Nous en fûmes bien joyeux ».
Bien qu'Arthur se soit gardé de lui dire que Verlaine vient de le blesser à Bruxelles d'un coup de revolver, devinant que le bandage du bras gauche cache quelque chose de suspect, elle n'en touche mot. Peu probable qu'avec maman, son frère et ses deux sœurs Arthur soit allé le dimanche de Pâques à la messe donnée dans la chapelle de Méry que Vitalie décrit ainsi : « Petite, décorée simplement, bâtie sur une petite éminence, elle est entourée d'un cimetière où reposent mes grands-parents ».
La vue des tombes lui inspire une longue méditation sur la mort qui « n'arrête pas le temps au cadran de la vie » puisqu'elle est grâce à Dieu « une douce espérance ».
Vitalie rapporte, sans le lui reprocher, qu'Arthur durant les trois semaines qu'il passe à Roche s'adonnera peu aux travaux agricoles puisque « la plume trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse ».
Est-elle alors allée le voir dans le grenier de la ferme où il entreprenait l'écriture d'Une Saison en enfer ?
Vitalie, elle, est ravie de participer avec son frère Frédéric aux travaux des champs, à la « cueillaison » (sic) des fruits ! « Je me rappelle parfaitement, confie-t-elle, le jour où pour la première fois de ma vie, je fanai. Abritée sous un chapeau de paille à larges bords, sentant la sueur ruisseler sur mon visage et par tous mes membres, je travaillais le plus courageusement qu'il m'était permis, tout en suivant mes compagnons de travail ».
En octobre, au moment de retrouver le pensionnat des Sépulcrines de Charleville, elle confie : « Oui, j'ai été heureuse, bien heureuse dans notre village ». Mais s'abandonner sans retenue à une joie inconsidérée étant un péché, elle ajoute, pleine de repentance : « Je me reprochais ma trop grande joie. Je n'ai pas joui assez raisonnablement de mon bonheur »
L'autre bonheur qu'elle va vivre un an plus tard, elle le doit à Arthur. Celle en qui Ernest Delahaye voyait « Rimbaud en très belle jeune fille » en témoignera dans une prochaine chronique.
Qu'en pensent les chênes de nos forêts ?
 
http://www.lunion.presse.fr/article/faits-divers/rimbaud-en-tres-belle-jeune-fille
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