mardi 20 juillet 2010

Les mystérieux fantômes du boucher de l’Orne

Arnaud Ghys, abattu d’une balle dans le dos sur un bord de route, avait tout du bon travailleur, du « papa poule », du compagnon idéal. En cherchant son meurtrier, les gendarmes dressent de lui un tout autre profil…
C’est une question philosophique de savoir, quand un arbre s’abat dans la forêt sans que personne ne soit là pour l’entendre, s’il a réellement fait du bruit. Elle s’applique bien tragiquement à ce coin de verdure traversée de soleil, au bord de la route départementale 669 entre Rai et Saint-Symphorien-des-Bruyères (Orne), à ce chemin qui s’enfonce dans les bois derrière une simple chaîne de plastique rouge et blanche, à ce désert en somme. Il y a dix jours, entre le vendredi 9 juillet au soir et le dimanche 11 en début d’après-midi, Arnaud, 28 ans, y est mort, à quelques pas de sa Golf noire. D’un coup de fusil dans le dos. A cette question, la gendarmerie est bien résolue à donner une réponse, et à trouver celui qui a abattu le jeune homme, en apparence pour rien puisque le seul objet de valeur qui ait disparu, c’est son téléphone portable.

« Il sortait boire un verre vendredi soir, comme ça arrive à un père de famille qui attend un troisième enfant, pour décompresser », raconte sa compagne Mélanie dans son pavillon neuf aux volets clos – « Il y a des badauds qui ralentissent devant chez nous pour voir, toute la journée… » Il ne rentrera jamais. Son corps sera découvert le dimanche suivant par son beau-père, alerté par des amis que la voiture d’Arnaud était visible de la route. Entre-temps, Mélanie avait réveillé les amis, mis en alerte ses contacts sur Facebook, envisagé le pire.

Un passé trouble
Ils s’étaient rencontrés il y a cinq ans, alors qu’Arnaud venait d’arriver dans la région, en provenance de Paris, et d’être embauché à l’Intermarché de L’Aigle, la ville voisine. Il travaillait au rayon viande, elle tenait celui des poissons. Le coup de foudre. La naissance de Melinda, il y a quatre ans, puis celle de Nathan, deux ans plus tard. En juin 2009, le couple fait construire un pavillon. Dans la foulée, Arnaud est embauché par la boucherie-charcuterie de la Gare, à L’Aigle, jusqu’à la fermeture de celle-ci, le 29 mai dernier. « Il venait de trouver un autre emploi, il allait commencer dans une semaine… », raconte Mélanie, soucieuse de parler à mi-mots devant les enfants. Melinda et Nathan ne sont pas au courant : leur maman leur a simplement dit que « papa est en vacances »… Elle précise : « On commence aussi à leur parler des petits anges, mais ça prend du temps. »

Au-delà de l’émotion des proches, reste une question centrale pour les enquêteurs de la brigade de L’Aigle et de la section de recherches de Caen (Calvados), venus en renfort, notamment pour effectuer les analyses scientifiques de la scène de crime : qui a pu tirer dans le dos d’Arnaud ? Et surtout, pourquoi le père de famille se trouvait-il là, au bord de cette route ? Devant ce mystère, les enquêteurs ont fouillé son passé. Sa jeunesse dans les environs d’Amiens, son passage à Paris, dans une boucherie du XIVe arrondissement. De leurs trouvailles, rien ne filtre. Mis à part, selon plusieurs sources judiciaires, cette phrase mystérieuse : « Il est connu du ministère de l’Intérieur. » En d’autres termes, des services de police et de gendarmerie. Ces mêmes sources qui précisent qu’Arnaud « a eu plusieurs spécialités ». Braqueur ? Trafiquant ? Les pistes sont nombreuses. Les questions sans réponse.

« La colère a remplacé la tristesse »
Depuis la mort d’Arnaud, à L’Aigle, l’émotion est vive. Dans une boulangerie du centre, Mickael et Stéphanie, les patrons de la boucherie de la Gare, ont déposé une boîte où les clients peuvent déposer pièces et billets pour « aider la famille d’Arnaud ». Une dame, cliente de la boucherie, connaissait le jeune boucher. Elle s’indigne : « On est de retour au Moyen Age, quand la vie humaine n’avait aucune valeur. » Du jeune homme, les habitants des environs dressent le portrait d’un « passionné de pêche et de ses enfants », plein de rêves de Brésil, du Canada, d’Australie. D’un père impatient de l’arrivée d’Aaron, dans une semaine.

En attendant, Arnaud sera enterré demain. Du temps est passé, déjà, depuis sa mort. Celui qu’il a fallu à sa compagne pour accueillir la nouvelle et ne pas sombrer : « Quand on saura qui l’a tué, il ne lui restera qu’à courir. La colère a remplacé la tristesse. » Celui, pour les enquêteurs, nécessaire pour faire apparaître les fantômes du passé qui, au détour d’un bois, ont frappé.
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