samedi 21 janvier 2012

Le « musée » de l’abbé Pierre ouvre samedi

Il fut le symbole du combat contre la misère. Les milliers de visiteurs qui se recueillent sur sa tombe, cinq ans après son décès, témoignent qu’il reste très présent dans le cœur des Français. Esteville, le village de Seine-Maritime où l’abbé Pierre vécut dès 1964 et repose aujourd’hui, consacre un lieu de mémoire à sa vie et à son œuvre : les Compagnons d’Emmaüs.
Depuis sa mort il y a cinq ans, rien n’a changé dans la petite chambre de l’abbé Pierre, au manoir d’Esteville (Seine-Maritime), village de 500 habitants, à une demi-heure de voiture de Rouen. Les murs sont restés jaune et bleu. Les étagères en bois brut, montées par l’abbé lui-même, supportent ses livres, ses objets fétiches et ses cassettes audio, sur lesquelles il enregistrait ses émissions de radio préférées.
Un lit, sa petite table de travail, sa canne et c’est tout. Dans la pièce voisine, encore plus petite, des outils au mur rappellent qu’il était manuel et aimait bricoler. « Dans cette chambre, il a reçu Bernard Kouchner et Lambert Wilson, qui l’a incarné au cinéma », rappelle Philippe Dupont, 35 ans, qui n’a jamais rencontré l’abbé. Depuis un an et demi, il prépare la transformation de sa maison normande : « Des milliers de visiteurs viennent se recueillir sur sa tombe à Esteville et veulent voir sa maison et sa chambre, explique le jeune directeur. Nous avons voulu aller plus loin en créant un lieu en sa mémoire et consacré aux Compagnons d’Emmaüs qu’il a fondés. »
Depuis un an, des artisans, des compagnons de cinquante communautés et des bénévoles mènent un vaste chantier de 1,2 million d’euros, financé par des dons. L’entreprise collective est fidèle à l’esprit d’Emmaüs : débrouille, ingéniosité et récupération. Comme cette serre, non pas en verre, mais en polycarbonate. Des compagnons d’Emmaüs d’Angers lui ont construit un plancher avec des palettes de récupération. Dans les sanitaires, des bassines galvanisées ont été recyclées en lavabos. Ce « Centre Abbé Pierre - Emmaüs » est inauguré demain, jour du cinquième anniversaire de sa mort, à 95 ans, et l’année du centième anniversaire de sa naissance.
Henri Grouès, son nom à l’état-civil, avait fait d’Esteville son havre et le secrétariat international d’Emmaüs, de 1992 à 1998. « Ici, j’ai fait mon nid », écrit-il, dans un de ses livres. « Il revenait s’y reposer et y était encore deux mois avant sa mort », rappelle Philippe Dupont.
Cette bâtisse en briques dans le style normand, au milieu d’un parc arboré de deux hectares, lui est donnée en 1964 par Georges Lanfry, entrepreneur mécène. De 1972 à 1999, elle devient la maison de retraite des anciens compagnons qui fabriquent des jouets en bois, réparent des moteurs, tissent des couvertures en laine, toujours pour les plus démunis. Depuis 1999, elle héberge une trentaine de cabossés de la vie, quelques semaines ou plus longtemps. Ces exclus, sans-papiers perdus dans un aéroport parisien, sans-abris recueillis après une maraude, ont trouvé ici un toit et de nouveaux amis.
« Un lieu pour alerter »
Pour aménager les espaces d’exposition, les architectes et scénographes Enora Postec et Nicolas Normier ont poussé les murs, agrandi les pièces et fait rentrer plus de lumière. « Ce lieu de mémoire sera aussi un espace culturel et pédagogique sur Emmaüs pour alerter sur la pauvreté et l’exclusion. Nous y organiserons des séminaires, l’accueil de scolaires, des expositions », souhaite Philippe Dupont.
Avec ses grands murs blancs et son dédale de couloirs, la scénographie est sobre, presque dépouillée. « Cette simplicité est dans l’esprit de l’abbé Pierre et d’Emmaüs », atteste Laurent Desmard, son secrétaire aux affaires internationales de 2000 à 2007. Il se souvient du « lien très fort » de l’abbé avec Esteville, « qui lui rappelait sa maison d’enfance (près de Lyon). Il le partageait avec Lucie Coutaz, la cofondatrice d’Emmaüs, enterrée près de lui dans le petit cimetière, tout comme ses compagnons des débuts qui avaient pris leur retraite ici. Ce lieu, très réussi, perpétuera auprès des jeunes la mémoire du fondateur d’Emmaüs et ses valeurs de solidarité et d’engagement ».
Au premier étage de la maison, des petits placards qui s’éclairent présentent l’Abbé intime : son béret, une canne et ses lunettes emblématiques. On croit presque entendre les « C’est pas possible » indignés qu’il lançait dans ses célèbres coups de gueule contre la misère.
Centre Abbé-Pierre - Emmaüs, à Esteville. 450 m2 d’expositions, sur dix salles. Ouvert du mercredi au dimanche, de 10 h à 18 h. 5 € et 3,50 €. tél. 02 35 23 87 76. www.centre-abbe-pierre-emmaus.org

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