jeudi 9 août 2012

La galerie Tretiakov redécouvre les racines russes du mystère Chagall

Gravures primitives russes et icônes orthodoxes à côté d'objets de la tradition juive: une exposition à la galerie Tretiakov de Moscou redécouvre les origines artistiques de Marc Chagall, né et formé dans la Russie tsariste mais qui émigra en France peu après la révolution.
L'exposition, qui se tient jusqu'au 30 septembre, vise à aider les Russes à "comprendre le mystère de Chagall", dont le nom était banni des encyclopédies soviétiques, raconte la commissaire Ekaterina Selezneva.
Gravures populaires sur bois, icônes ou tapis primitifs russes alternent dans les vitrines avec des menorahs (chandeliers à sept branches) ou des moules pour les pains d'épices traditionnels juifs, sur fond de 300 peintures, sculptures et dessins de l'artiste.
"Les visiteurs demandent souvent pourquoi les animaux de Chagall sont bleus ou jaunes ou roses, pourquoi la mariée vole au-dessus des toits et pourquoi cet homme a une double face. Ils comprendront maintenant où Chagall puisait" ses images, raconte Mme Selezneva.
Ces mufles aux couleurs éclatantes sur un tapis tissé au début du XXe siècle au sud de Moscou renvoient aux animaux multicolores de Chagall.
Et cet homme d'un loubok (gravure populaire russe) exécuté par un peintre inconnu en 1896, qui flotte paisiblement au-dessus des toits, sera quinze ans après l'un des personnages préférés de l'artiste.
Né il y a 125 ans dans une famille juive pauvre, près de Vitebsk, dans l'actuel Bélarus qui faisait partie alors de la Russie impériale, Moyshe Segal (de son vrai nom) n'avait jamais oublié sa vie sous la contrainte des restrictions de déplacement imposées aux juifs par Catherine II à la fin du XVIIIe siècle.
Les portraits de sa famille et des scènes de rue côtoient des objets de la vie quotidienne, du vieux landau à une panoplie d'ustensiles de coiffeur issue d'un musée juif de Moscou.
Un "peintre bourgeois" quasiment interdit
Egalement montrés à l'exposition, ces animaux mythiques ornant des pierres tombales juives peuplent eux aussi les toiles de Chagall, comme les motifs des moules à pain d'épice, oiseau ou poisson, que l'on retrouve dans les vitraux dessinés par l'artiste pour la synagogue Hadassah à Jérusalem.
"Mon art vient des livres que j'ai vus sur les pupitres et dans les armoires des synagogues, et que j'ai touchés de mes mains pâles", écrivit un jour l'artiste, qui se présentait comme un "arbre attaché à la terre par ses racines".
"Chagall est donc issu du loubok et des icônes?", s'émerveille le cinéaste russe Alexandre Mitta, qui prépare un long-métrage sur les relations tumultueuses entre le peintre et son collègue de l'avant-garde picturale russe Kazimir Malevitch.
Avec la révolution de 1917, Chagall est nommé commissaire aux Beaux-Arts à Vitebsk, l'un des foyers les plus actifs de l'avant-garde russe entre 1918 et 1922, qui fut aussi un point de ralliement pour nombre d'artistes d'origine juive.
Mais après un conflit avec Malevitch, il démissionne en 1920. Il quitte à jamais sa ville natale. Deux ans après, il quitte le pays, d'abord pour Berlin, puis Paris.
Il ne reviendra que 10 jours, en 1973, en Union Soviétique - où il est officiellement vu comme un "peintre bourgeois" quasiment interdit - pour une brève exposition à la galerie Tretiakov.
En 1987, deux ans après sa mort et en plein perestroïka, une longue file d'attente s'alignera à Moscou devant le musée Pouchkine pour la première exposition importante de Chagall en Russie.
La galerie Tretiakov révèle cet été également ses collages inconnus des années 1960-70, ses oeuvres graphiques, ainsi que ses illustrations de la Bible et des Fables de La Fontaine, venant de collections privées de France, de Suisse et du Liechtenstein.
"Ses personnages volent autour de la Terre, mais reviennent dans leur lieu d’origine", résume la commissaire de l'exposition.

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