mercredi 9 novembre 2011

Jacques Prévert, soleil rouge

Simple mais émouvant. C'est ainsi que l'on pourrait résumer ce disque et tout ce qui l'entoure. La manière dont ces deux poètes se sont rencontrés, se sont trouvés. La façon dont le plus jeune s'est emparé de l'oeuvre du plus ancien. L'attitude même que Fred Nevchehirlian a adoptée face à ce brûlot qu'il rend, aujourd'hui, à nouveau ardent.
Tout commence par un hasard. En acceptant de mettre en musique un texte de Jacques Prévert pour un documentaire de Camille Clavel, le poète, musicien, slameur marseillais ne savait pas encore qu'il allait faire une des plus importantes rencontres de sa vie d'artiste. Lors de la première diffusion du film à Paris, Eugénie Bachelot-Prévert, la petite fille de l'écrivain, est là. Frédéric n'ose pas le dire mais elle est touchée. "Elle m'a dit plein de choses géniales, et un truc encore plus génial, elle m'a dit : 'J'aurais aimé que mon grand-père soit là, qu'il entende ce que vous avez fait, qu'il sache que les jeunes d'aujourd'hui se sont emparés de sa parole politique, qu'on entende à nouveau le Prévert militant'".
Elle lui demande de continuer. Pour cela, elle le conduit dans une maison, et une pièce chargée, en particulier. "Je n'avais pas tout de suite compris où j'étais…. C'était le bureau de son grand-père ; il n'avait pas bougé". La rencontre avec ce grand monsieur de la littérature est émouvante d'autant qu'Eugénie Bachelot-Prévert lui donne des textes méconnus ou passés sous silence, ainsi qu'une lettre inédite. Frédéric lit et choisit les mots qui figureront sur son disque. "J'ai découvert un Prévert que l'on a oublié. Un Prévet révolté, militant, intransigeant, courageux. Avec La Lettre à Jeanine, une lettre d'amour adressée à sa femme, intime, j'ai compris l'intensité de sa révolte. Alors qu'il parle d'amour, de désir, on sent le contexte social et politique de son époque."
C'est cette redécouverte du Prévert engagé, trop souvent enfermé dans les livres d'école et l'amour doux, qui transporte l'artiste marseillais. "Bien sûr que ces textes résonnent aujourd'hui, sont étonnamment modernes. Mais ce qui m'a vraiment touché, ce sont leur beauté, leur simplicité, leur puissance, la façon dont ils s'adressent à tout le monde. J'admire le courage de cet homme qui est resté toujours droit dans ses convictions. C'est ça, c'est l'homme qui m'a touché." À la beauté d'une écriture limpide, intelligible, répond une musique épurée, où l'on entend le grain de chaque instrument, où l'on le sent le souffle d'une voix parlée, fredonnante, aussi tranquille que les mots sont déchaînés.
"Je crois que Jacques Prévert m'a donné confiance en ma musique", confie-t-il, comme une révélation. Entre douceur folk, saillie rock et fraîcheur pop, Fred Nevchehirlian fabrique alors avec son groupe une vraie partition musicale, pas vraiment un support à ces mots qui bouent. En somme, une oeuvre autonome et pas seulement un hommage. "J'ai abordé ce répertoire avec beaucoup de distance, de légèreté et d'amusement. Je ne me suis pas vraiment rendu compte que je m'attaquais à un patrimoine de la littérature française. J'ai fait ça de façon assez simple et directe. Je voulais quelque chose de frais pour ne pas rajouter de la violence là où il y en avait déjà. Mais je crois que de la liberté naît plus facilement de l'émotion, quelque chose de plus fort. Quand tu travailles sur tes propres textes, tu te prends la tête, tu prends le risque de devenir chiant."
Presque sans s'en rendre compte, l'artiste marseillais façonne donc ce qui sera finalement son deuxième album solo, après Monde nouveau, monde ancien. "Je pensais que je faisais ce projet à côté de ma vie. Finalement, je me suis rendu compte que c'était la suite de mon chemin". Une histoire qui ne cesse d'émouvoir ceux qui l'écoutent, y compris auprès de ceux qui favorisent la notoriété. Parce que ce soleil rouge que Fred Nevchehirlian hisse à nouveau, tout en haut dans le ciel, brille décidément pour tout le monde. Jacques Prévert retrouve sa place. Et le poète marseillais s'en fait une dans le firmament d'une création sans concession.
"Le soleil brille pour tout le monde", L'autre distribution, dans les bacs depuis hier.
Présentation demain à 19 h à la librairie Histoire de l'Oeil, 25 rue Fontage (6e). Entrée libre
http://www.laprovence.com/article/spectacles/jacques-prevert-soleil-rouge

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