vendredi 30 novembre 2012

Le feu et les cendres

Un nouveau chapitre des Tréteaux de France a commencé. Ce centre dramatique national n'est pas le plus visible parmi nos structures subventionnées ! Il a plutôt pour mission d'être invisible, d'aller là où le théâtre est absent ou peu présent, d'occuper des salles des fêtes peu équipées ou de planter son chapiteau sur des terrains municipaux. Noble et ingrate tâche qui fut assurée à la création par Jean Danet et dont s'était chargé Marcel Maréchal ces dernières années. Le remplacement de Marcel Maréchal a été un peu rocambolesque.

Francis Huster a accepté la direction mais a tant voulu transformer cette institution nomade qu'on a cherché un autre saltimbanque, moins chien fou. On a trouvé : c'est Robin Renucci, acteur vedette mais aussi passionné de la transmission du théâtre et du patrimoine culturel dans les milieux culturels, comme il l'a prouvé à travers les rencontres qu'il organise dans ses villages de Haute-Corse. Depuis le début de l'année, Renucci s'est attelé à la tâche. Une première initiative, en cours, a été éclatante : il s'est associé à Christian Schiaretti, patron du TNP de Villeurbanne, pour faire circuler un peu partout le Ruy Blas de Victor Hugo, fastueuse production où Renucci joue lui-même l'un des rôles principaux. La seconde initiative consiste à créer des spectacles plus modestes qui peuvent être donnés dans les lieux les plus divers. Ainsi le nouveau chef des Tréteaux vient-il de mettre en scène Mademoiselle Julie de Strindberg, que nous avons pu voir dans l'Eure-et-Loir, à l'Atelier à spectacles de Vernouillet.

Strindberg bouscule toujours !


Le choix de la pièce est judicieux. En contant une nuit de la Saint-Jean où une jeune fille noble provoque un domestique, a une relation sexuelle avec lui et fait face ensuite à ce qui résonne comme un effrayant dégât, Strindberg n'a pas parlé que de son temps. Le public d'aujourd'hui ressent moins fort le scandale qu'en 1888. Mais la violente mise en relief de la sexualité ne s'est pas atténuée. Et le sourd climat de lutte des classes ne s'est pas non plus éventé. Peu importe les aristos, les différences de condition n'ont pas tellement changé dans nos sociétés ! La verdeur des mots peut même parfois surprendre le public des Tréteaux, qui, souvent, ne connaît pas l'oeuvre qu'il vient voir. Ainsi quand, au petit matin, le domestique lance à sa partenaire de la nuit "une putain est une putain", les spectateurs frémissent, sont choqués. Strindberg bouscule toujours !

Robin Renucci a conçu un spectacle épuré. Tout se passe dans une large cuisine, où feux et arrivée d'eau fonctionnent à gauche et où s'étire, à droite, une longue table. La lumière est le plus souvent tamisée (peut-être trop pour des salles hautes et longues, comme à Vernouillet). Le style est d'un réalisme méticuleux où s'inscrit peu à peu une certaine anomalie. À un moment, un mystérieux personnage portant des cornes de cerf passe et jette de la poudre. Tout est vrai et cru, mais la perception peut vaciller dans le dérèglement de la nuit de la Saint-Jean où l'être humain vire au fantôme.

Convaincante sobriété


Dans le rôle de Julie, Maryline Fontaine est impressionnante quand elle traduit la brutalité, l'arrogance, la férocité du personnage. Elle trouve moins bien la blessure, le sentiment de défaite quand Julie découvre les conséquences de son geste de folie sensuelle. Elle n'en est pas moins forte et crédible. Dans le rôle de Jean le domestique, Thierry Godard met bien en valeur la vraie nature, quasiment comptable, du majordome : ce n'est pas un passionné, il mesure les avantages de son métier avant d'être un sensuel ou un sentimental. Le comédien arrive pourtant à donner à Jean quelque chose de tendre. On le joue, habituellement, d'une façon plus sèche, ignoble parfois, ce qui donne plus d'intensité à l'affrontement. Mais cette relative douceur est bien vue aussi. Dans le dernier rôle, celui de la cuisinière attachée aux conventions sociales, Nade Dieu est d'un jeu très exact.

Peut-être le climat de fin du monde qui s'instaure à la fin de la pièce aurait-il pu être davantage accentué. Mais la première mise en scène de Renucci pour ses Tréteaux de France - qu'il fait suivre d'un débat qu'il anime lui-même - est d'une convaincante sobriété. Elle trouve le feu, plus que les cendres laissées par un tel flamboiement. C'est un beau second chapitre, après Ruy Blas et avant L'école des femmes de Molière la saison prochaine (Renucci y jouera Arnolphe sous la direction de Schiaretti).

Mademoiselle Julie, mis en scène de Robin Renucci, en tournée : Granvilliers (8 février), Péronne (12 février), Maurepas (23 février), Bastia (1er mars), Saintes (7-8 mars). Toulouse (14-15 mars). Traduction de Terje Sinding aux éditions Circé (on relèvera la qualité des beaux programmes édités par les Tréteaux de France et remis aux spectateurs).

http://www.lepoint.fr/culture/coups-de-coeur/le-feu-et-les-cendres-24-11-2012-1532985_792.php
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