vendredi 29 octobre 2010

Les accablantes irrégularités du service de chirurgie cardiaque du CHR de Metz

L'enquête progresse et les charges s'accumulent sur le service de chirurgie cardiaque de l'hôpital Bon-Secours au CHR de Metz dont l'activité a été suspendue en urgence il y a trois semaine, à la suite de la découverte d'une surmortalité opératoire suspecte. Le Dr Jean-Yves Grall, à la tête de l'Agence régionale de la santé (ARS) de Lorraine, qui avait pris cette décision exceptionnelle, a alors confié à plusieurs experts une mission d'inspection complémentaire. Le premier volet portait sur le fonctionnement médical du service, l'autre sur l'activité privée exercée dans cet hôpital public par le patron de l'unité, le Dr Pierre-Michel Roux.


Selon nos informations, les faits constatés par les enquêteurs, et notamment trois médecins spécialistes éminents, sont accablants. La mortalité globale enregistrée dans le service au cours des dix premiers mois de 2010 est identique à celle de 2009, et représente près du double de la mortalité globale des services analogues français. La mortalité liée à des opérations de remplacement des valves cardiaques a cru en 2010 par rapport à 2009 (21% contre 19%) et elle est près de 4 fois supérieure à la mortalité nationale dans cette même chirurgie. Les pratiques médicales sont défectueuses, la pertinence des actes et des indications opératoires laisse parfois à désirer, les "indications sont peu discutées" et "il n'y a pas de réelle évaluation en termes de bénéfice-risque de l'intervention avant celle-ci", ni de "culture du développement des alternatives thérapeutiques", soulignent les enquêteurs.


Les compétences en question


L'accroissement de l'activité du service, au demeurant inférieure au seuil limite réglementaire, est recherché à tout prix. Les gestes opératoires sont "multiples et extensifs" dans un nombre étrangement élevé de cas. C'est-à-dire que très souvent - trop, s'étonnent les experts -, lors d'un remplacement de la valve aortique, l'autre valve du coeur, la mitrale, est aussi changée. "Certains de ces actes sont non validés, non indiqués, voire franchement délétères", tranchent les experts, et "beaucoup de ces gestes ne correspondent à aucune des recommandations des sociétés savantes françaises, européennes ou américaines". De telles mauvaises pratiques entraînent forcément de sombres résultats. "Un nombre important de décès survient chez des patients peu âgés et à faible risque liés à des gestes longs et extrêmement complexes." Les temps anormalement longs de mise au repos du coeur et d'installation d'une circulation extra-corporelle nécessités par des durées d'opération elles-mêmes trop élevées induisent un nombre de chocs septiques post-opératoires important. La question de la formation et de la compétence des intervenants non chirurgicaux, en particulier en réanimation, est clairement posée par les inspecteurs.


Enfin, et c'est l'autre aspect, financier et déontologique, "l'activité privée du service connaît de graves irrégularités". L'information reçue par le patient avant l'opération est opaque, il est mal ou il n'est pas du tout averti des dépassements d'honoraires qui lui sont souvent demandés. Les devis préalables qui doivent réglementairement leur être soumis avant l'intervention sont curieusement souvent absents des dossiers médicaux stockés dans le service, et parfois ils sont signés rétroactivement, c'est -à-dire après l'intervention, ou incomplets, ou inexacts. L'organisation de l'activité privée du Dr Roux est "non réglementaire, voire illégale". En 2009, les honoraires perçus par ce praticien, en plus de son traitement de médecin hospitalier, se sont élevés à 320.000 euros !


Nouvelle équipe chirurgicale


Sans plus attendre, le directeur de l'ARS, le Dr Jean-Yves Grall, a décidé la suspension d'exercice au CHR de Metz, à titre conservatoire, du Dr Pierre-Michel Roux avec engagement d'une procédure disciplinaire. Il envisage une réouverture du service de chirurgie cardiaque du CHR messin dans plusieurs semaines, à la condition sine qua non de la reconstitution d'une nouvelle équipe chirurgicale. Pour sa défense, le Dr Pierre-Michel Roux invoque une fragilité particulière des patients qu'il opère. "Nous prenons en charge des malades à très haut risque chirurgical. Des malades âgés ou très âgés, porteurs de pathologies cardiaques gravissimes et de multiples autres pathologies associées. Refuser d'opérer ces malades aurait amélioré les statistiques de mortalité. Nous avons fait le choix d'opérer des patients et non celui des statistiques."


L'équipe de chirurgie cardiaque du CHR de Metz serait-elle l'ultime recours pour des malades qui ne seraient pas opérés ailleurs? Le Dr Roux avance cet argument depuis plusieurs années lors de procès que certaines familles mécontentes ou endeuillées intentent contre lui. Comment encore y croire ? Les experts balaient cette stratégie : ils ont calculé une nette surmortalité chez les malades à haut risque opérés au CHR de Metz par rapport aux malades à haut risque opérés dans tous les autres services de chirurgie cardiaques français. À l'heure actuelle, les malades lorrains relevant d'une opération du coeur sont officiellement orientés vers les services spécialisés du CHU de Nancy ou de l'hôpital privé Claude-Bernard à Metz, au fonctionnement sans histoire.


http://www.lepoint.fr/societe/les-accablantes-irregularites-du-service-de-chirurgie-cardiaque-du-chr-de-metz-29-10-2010-1256074_23.php

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